Le Code civil du Québec1 prévoit divers modes de transmission et de mutations des obligations. La transmission consiste à transférer ou à déplacer le lien d’obligation vers une nouvelle partie, alors que la mutation consiste à transformer une obligation. Parmi les mécanismes de transmission de l’obligation se trouve la cession de créance.
CESSION DE CRÉANCE
La cession de créance est le contrat, à titre gratuit ou onéreux, par lequel un créancier, le cédant, transfère à un tiers, le cessionnaire, une partie ou la totalité de la créance qu’il détient contre son débiteur, le cédé2 .
AVANTAGES DE LA CESSION DE CRÉANCE
Pour le cédant, la cession de créance lui permet d’obtenir une somme d’argent avant l’échéance du terme de l’obligation. Ainsi, s’il a besoin de liquidités rapidement et que la créance n’est toujours pas exigible, ce mécanisme peut être intéressant.
Le cessionnaire, quant à lui, peut spéculer dans une certaine mesure, par exemple sur la solvabilité du débiteur. Il lui est ainsi possible d’obtenir la créance pour une valeur moindre de ce qu’elle vaut véritablement et espérer en tirer profit.
Le débiteur, pour sa part, peut aussi en certains cas tirer avantage de la cession de créance, puisque celle-ci peut lui permettre de maintenir sa relation contractuelle avec un nouveau créancier possiblement plus conciliant, ce qui peut parfois être préférable au créancier initial qui ne souhaitait pas nécessairement supporter le crédit octroyé jusqu’au parfait paiement. De plus, la loi prévoit que la cession de créance ne peut pas, en aucun cas, porter atteinte à ses droits ou rendre son obligation initiale plus onéreuse3 .
CONDITIONS DE LA CESSION DE CRÉANCE
D’abord, un contrat écrit ou verbal doit être valablement formé entre le cédant et le cessionnaire. Le consentement du cédé n’est pas requis par la loi. La créance doit exister et le cédant doit être titulaire de cette créance. À cet effet, ces deux éléments doivent en principe être garantis par le cédant si la cession est à titre onéreux4 .
De plus, la créance doit être cessible, c’est-à-dire qu’elle peut légalement faire l’objet d’une cession. En principe, toute créance est cessible, mais il y a certaines exceptions, tels les droits à caractères extrapatrimoniaux (ex. créance alimentaire), les créances que la loi déclare incessibles (ex. droit résultant d’une violation à un droit de la personnalité5 ), les créances que les parties ont elles-mêmes déclaré incessibles (ex. une stipulation d’incessibilité au contrat) ou celles qui sont par nature essentiellement liées à la personne du créancier.
Ensuite, la cession de créance doit être rendue opposable au débiteur et, s’il y a lieu, à la caution6. Pour ce faire, le cessionnaire doit, de façon générale, leur faire parvenir une copie ou un extrait pertinent de l’acte de cession ou toute autre preuve de la cession qui soit opposable au cédant, à moins qu’ils aient acquiescé préalablement à la cession 7 . Certaines formes de publicité particulières sont toutefois prévues, par exemple en cas d’impossibilité de retrouver le débiteur8 , de cession de créance hypothécaire9 ou de cession d’une universalité de créances10 . À défaut d’avoir rendu la créance opposable conformément à la loi, le débiteur pourra opposer au cessionnaire tout paiement fait au cédant avant que la cession ne lui ait été rendue opposable, ainsi que toute cause d’extinction de l’obligation11 survenue avant ce moment12 . Si le paiement survient après l’accomplissement de l’opposabilité, le débiteur ne pourra opposer au cessionnaire le paiement fait au créancier apparent que s’il était de bonne foi13 .
CLAUSES DE GARANTIE OU D’EXCLUSION DE GARANTIE
Même si le contrat précise que la cession est faite sans garantie, il faut savoir que la loi prévoit que le cédant à titre onéreux garantit tout de même que la créance existe et qu’elle lui est due14 . Il est donc impératif que la cession soit expressément acquise aux risques et périls du cessionnaire pour pouvoir exclure la garantie. Par ailleurs, si la créance était incertaine et que le cessionnaire connaissait ce caractère incertain au moment de la cession, il ne pourra pas soulever cette garantie, s’agissant alors davantage d’une vente d’un droit litigieux.
Si l’intention est au contraire d’intensifier la garantie légale fournie par le cédant, il est possible de prévoir au contrat une garantie conventionnelle par laquelle celui-ci s’engage personnellement à répondre de la solvabilité du débiteur. Auquel cas, le cédant répondra de cette solvabilité qu’au moment de la cession et qu’à concurrence du prix qu’il a reçu15 .
Au besoin, il peut ainsi être pertinent de consulter un conseiller juridique pour rédiger le contrat de cession ou encore pour s’assurer que celui-ci contienne les mentions appropriées, particulièrement si l’intention est d’exclure ou d’intensifier les garanties fournies par le cédant.
EFFETS DE LA CESSION DE CRÉANCE
Une fois toutes les conditions remplies, le cessionnaire devient créancier de l’obligation à la place du cédant. Néanmoins, l’obligation initiale entre le cédant et le débiteur n’est pas transformée par la cession; la créance d’origine est simplement transmise du cédant au cessionnaire. Le cessionnaire n’a ainsi pas plus de droits qu’avait le cédant. Les accessoires de la créance, telles les clauses contractuelles et les modalités prévues (ex. taux d’intérêt), sont également transmis au cessionnaire16 .
En somme, la cession de créance peut être un mécanisme fort intéressant pour toutes les parties, mais il est important que le contrat la régissant soit clair et précis et qu’elle soit rendue opposable au débiteur conformément à la loi et le plus rapidement possible. Ainsi, un avocat peut vous conseiller à ce sujet et défendre vos droits dans le cas où la cession de créance serait à l’origine d’un litige.
LE CAS PARTICULIER DE LA VENTE DE DROITS LITIGIEUX
Par ailleurs, il faut noter en terminant que certaines règles particulières au Code civil du Québec17 encadrent spécifiquement la vente de droits litigieux18 , c’est-à-dire un droit incertain, disputé ou susceptible de l’être. Puisque le législateur a voulu éviter la spéculation sur ce type de droits, lorsque ceux-ci font l’objet d’une vente, sauf exception19 , celui de qui ils sont réclamés peut se décharger entièrement en remboursant simplement à l’acheteur le prix de cette vente, les frais et les intérêts sur le prix, à compter du jour où le paiement a été fait20 . Considérant que ce droit de retrait du débiteur n’existe qu’en cas de vente d’un droit litigieux, la distinction entre les notions est importante.
En effet, la cession d’un droit à titre onéreux ne constitue pas nécessairement la vente d’un droit litigieux. Ainsi, selon la Cour d’appel, la créance vendue n’est pas litigieuse si le droit lui-même n’est ni aléatoire, ni incertain, même si la possibilité d’obtenir paiement de la créance est problématique21 , par exemple lorsque seule la solvabilité du débiteur est précaire ou encore en cas de simples retards de paiement. Il doit plutôt y avoir une contestation ou une obligation susceptible d’une contestation sérieuse et probable au moment de la vente22 . Il s’agit donc au final de faire une analyse au cas par cas pour bien qualifier juridiquement la nature du contrat en fonction des faits précis de chaque cas d’espèce.
1 Code civil du Québec, RLRQ, c. C-1991 (ci-après : « C.c.Q. »).
2 Art.1637 al.1 C.c.Q.
3 Art.1637 al.2 C.c.Q.
4 Art.1639 C.c.Q.
5 Art.3 et 1610 C.c.Q.; ces droits ne peuvent être transmis qu’aux héritiers.
6 Art.1645 C.c.Q.
7 Art.1641 al.1 C.c.Q.
8 Art. 1641 al. 2 et 1645 C.c.Q.
9 Art.3003 C.c.Q.
10 Art. 1642 C.c.Q.
11 Les causes d’extinction de l’obligation sont : le paiement, l’arrivée d’un terme extinctif, la novation, la prescription, la compensation, la confusion, la remise, l’impossibilité d’exécuter l’obligation et la libération du débiteur. Voir : Art. 1671 C.c.Q.
12 Art. 1643 al. 1 C.c.Q.
13 Art. 1643 al. 2 C.c.Q.
14 Art. 1639 C.c.Q.
15 Art. 1640 C.c.Q.
16 Art. 1638 C.c.Q.
17 Préc., note 1.
18 Art. 1782 à 1784 C.c.Q.
19 Art. 1784 al. 2 C.c.Q.
20 Art. 1784 al. 1 C.c.Q.
21 Circuit Québec Ste-Croix (1985) inc. c. 2617-6800 Québec inc., 2007 QCCA 808.
22 Montgrain c. Banque Nationale du Canada, 2006 QCCA 557, par. 44.